1948 Professeur à l’école des beaux arts de Rennes

Lettre à son ami Xavier Haas 18 VII 1948 :

le Crestuche nourrit des projets que je partage avec lui sans trop y croire : Le siège de l’école des B.A. de Rennes devenant vacant en octobre, Lemonnier aurait toutes chances d’être nommé. Refroidi par l’expérience nantaise, je ne pose pas ma candidature ni Creston non plus. Mais nous avons de grandes chances cette fois d’avoir un poste de “professeur”…
Garde ces projets strictement pour toi seul. Ce serait la ruée !

Si la chose arrivait j’aurais l’immense avantage d’avoir, enfin, le titre de salarié, ce qui me donnerait droit à des allocations triples !… “Malheur à l’homme seul”. Je suis le dernier à Rennes et sans doute en Bretagne à avoir réussi ce prodige de vivre uniquement de mon métier de peintre sans rentes ni “salaires” fixe d’aucune sorte.
Le miracle semble devoir prendre fin ! L’État Moloch, si coriace que je sois, aura réussi à me dévorer comme les autres. Si je dois passer aussi à la casserole administrative, j’essaierai de n’être cuit qu’à très petit feu, c’est à dire en me réservant à l’état que le moins de temps possible quitte à n’avoir qu’un fixe très réduit. Mais tout cela n’est encore que projet en l’air et il est fort possible que l’équipe Seizh Breur se voit évincée en bloc malgré ses chances apparentes de succès.

Ce 10/X/48
Vieux bien cher,
Je reviendrai sur le contenu de ta lettre tout à l’heure, en attendant je te dirai seulement qu’elle nous a fait à tous grand plaisir, non seulement par son contenu mais encore par ta diligence !… Hier bonne, très bonne journée : A midi je recevais à la fois trois missives m’annonçant dans toutes les règles administratives que j’étais nommé professeur de dessin aux Beaux-Arts. La chose est donc faite. Je suis chargé des cours de dessins (Cours moyens) mes soirées y passeront entièrement, mais il faut bien faire un sacrifice. Le côté sympathique sera que Lemonnier me laissera toute liberté d’introduire le plus de “Vie” possible dans mes cours.
L’Atelier est splendide, assez “patiné” pour que je m’y sente à l’aise avec appuis cartons et bancs en fer à cheval. Je remplace un professeur de 70 ans et bénéficie donc auprès des jeunes d’un préjugé favorable. A moi de ne pas les décevoir.

Rennes Ce dimanche 21/XI/48
Vieux très cher,
Je pensais t’écrire beaucoup plus tôt et puis j’ai été tellement tellement bousculé. Alors je profite d’un court répit dominical, tout relatif.
J’ai pris mes fonctions aux Beaux-Arts depuis le 18 octobre, plus d’un mois déjà… et depuis lors, je n’ai plus une soirée à moi. C’est dur ! la seule récompense est que ça marche vraiment. Je suis moi-même surpris des progrès que je leur ai fait faire en moins d’un mois. En principe ça s’appelle le “cours moyen” mais certains sont archi-nuls. J’ai 50 (cinquante) élèves que j’ai été obligés de diviser en deux groupes de force très différente. Dans le premier j’ai q.q éléments vraiment doués, dans le second l’infanterie ! Mais je les mène tous à cadence accélérée. Au lieu de les laisser moisir 15 jours sur un plâtre, je leur fait faire des dessins en 4 ou 5 séances et j’alterne, plâtre croquis, (d’après modèle vivant) Nature morte, (de matières amusantes) et à nouveau croquis, puis re-plâtre.
Mon atelier a bien 100 mètres carrés, au moins, comporte un bel hémicycle et est bien éclairé.
L’ambiance est très bonne. Je les ai pris bien en main, mais en revanche je m’efforce de les mettre en confiance dans l’intimité. Demain un petit groupe d’une quinzaine viendra visiter mon propre atelier. Ils me montrent ce qu’ils font et la réciproque m’a paru s’imposer. Il y a un peu moins de filles que de garçons. L’âge varie de 15 à 25 ans. Voilà un court brouillon tout plein d’un seul sujet, mais j’ai pensé que cela t’intéresserait. J’ai peint une toile qui te plairait mais n’en ai guère peint qu’une : quelle vie de forçat !

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