La honte des enfants parlant breton à l’école …

« C’était la super-honte » : quand les enfants qui parlaient breton à l’école étaient punis

L’usage du breton a été massivement interdit à l’école. Et, parmi les punitions qui tombaient sur les récalcitrants, il y avait le symbole, cet objet infamant donné à un enfant surpris à parler breton. Cette mémoire demeure douloureuse. Restent les témoignages, patiemment recueillis notamment par Nicole Sohier, spécialiste de l’école, et Claude an Du, autrice d’une étude sur le sujet. Troisième épisode de la série du magazine « Bretons » sur la persécution de la langue bretonne.

À gauche, une gravure de Xavier de Langlais « L’enfant et le symbole ». À droite, un petit morceau de bois servant de symbole pour punir les enfants, reconstitué d’après les souvenirs d’un ancien écolier. | XAVIER DE LANGLAIS / MUSÉE DE L’ÉCOLE DE BOTHOA

Il pouvait s’agir d’un sabot de bois, à porter au cou à l’aide d’une ficelle, d’une pomme de terre, d’un petit cochon sculpté ou d’un sou percé… En Bretagne, on l’appelait le symbole, ou la vache, et ce fut l’une des punitions employées pour obliger les jeunes écoliers à parler français.

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Comment procédait-on ? Dans la cour de récréation, quand un enfant était surpris à utiliser sa langue maternelle, le maître lui donnait cet objet. À son tour, ensuite, de dénoncer un de ses camarades pour lui transmettre le symbole. Le malheureux qui terminait la journée avec le symbole écopait d’une punition.

« Une connotation négative »

Le chercheur Fañch Broudic, dans Histoire sociale des langues de France, rappelle qu’une technique similaire était utilisée dans les collèges jésuites au 16e siècle. On en trouve aussi trace au Pays de Galles et en Afrique. En Basse-Bretagne, dans les quelques études locales effectuées, une large majorité des personnes interrogées attestent de son existence.

Le symbole aura marqué des générations d’enfants, qui, pour beaucoup, ignoraient le français avant d’arriver à l’école. Il aura imprimé à leur rapport à leur langue maternelle un sentiment de honte. Pour Claude an Du, « Le breton a été associé, aux yeux de l’enfant, à un objet ayant une connotation négative, dévalorisante. […] En discréditant leur langue à leurs propres yeux, c’est aussi leur milieu familial, leur environnement qu’on dévalorisait ». Comment s’étonner alors que, lorsqu’ils seront eux-mêmes en âge d’avoir des enfants, ils préféreront leur parler en français ?

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Pierre Le Maoût, Saint-Eusèbe (22) : « Trois soirs de rang, j’ai été puni »

« Je n’ai pas eu trop de misère avec monsieur Avril mais j’ai souvent été puni avec monsieur Robin. Il avait un petit morceau de bois qui était verni d’un côté et sur lequel était gravé au fer rouge, en grand : BRETON. J’avais souvent le BRETON car à la dernière récréation de l’après-midi, je me faisais souvent avoir par un grand qui me posait une question en breton et, machinalement, je répondais en breton. Aussitôt, celui qui possédait le BRETON me le donnait et je devais rester après la classe à recopier des lignes : « Je ne parlerai plus jamais breton ». Trois soirs de rang, j’ai été puni. »

Un témoin, canton de Bourbriac (22) : « C’était la super-honte ! »

« Monsieur O. était arrivé un lundi matin dans la classe avec un sabot, et il avait dit : « Bon, il n’y a plus le droit de parler breton, et celui qui parlera en breton il aura le sabot au cou ». C’était un gros sabot, aussi gros que celui de mon père. […] La récréation de 10 heures était arrivée. Tout le monde dans la cour de l’école. Nous ne savions pas quoi faire, nous allions en groupe d’un coin à l’autre comme de petits animaux et de parler tout bas en breton. Le maître d’école se promenait dans la cour pour voir qui aurait parlé breton.

Jeff K. était allé rapporter :

Mestr-skol, François ‘gomza brezhoneg ! (Maître, François parle breton !)

– Eh bien, tu as parlé breton également et tu auras le premier sabot.

Et il lui mit au cou le sabot et lui dit :

– Bien, maintenant, le premier que tu surprendras à parler breton, tu lui remettras ton sabot.

Mais nous faisions attention. Nous étions comme de pauvres malheureux. Nous ne savions que dire, ni rien du tout. Nous avions envie de parler. Nous ne savions pas jouer sans parler. […] C’était encore pire à l’heure de midi. Celui qui avait le sabot devait aller au bourg avec le sabot au cou. C’était la super-honte ! Et le soir, c’était pareil. Aller à la maison avec le sabot ! C’était affreux, les autres se moquaient de vous si vous aviez le sabot au cou. »

Albert Cotentiec, Kerbastard (22) : « Je ne parlais que le breton »

« J’avais 5 ans lorsque je suis allé à l’école et je ne parlais que le breton, comme tous mes copains. […] Pendant une récréation, je jouais aux billes avec un copain pendant que le directeur faisait les cent pas dans la cour. Je dis à mon copain : « C’est à toi ! », en breton. J’étais accroupi, le directeur m’a lancé un coup de pied dans les fesses qui m’a transporté à trois ou quatre mètres plus loin dans la cour. »

Pierre-Jakez Hélias, Le Cheval d’orgueil : « Les punitions nous pleuvent dessus »

« Dans les petites classes, nous en sommes quittes pour un revers de main, une oreille froissée et la promesse de ne plus recommencer. Mais plus nous avançons en âge et plus les punitions nous pleuvent dessus. Toujours pour notre bien. C’est ainsi que l’année des bourses, je me vois infliger la conjugaison à tous les temps et tous les modes du verbe dactylographier, cette horreur. Que je dactylographiasse, que nous dactylographiassions ! »

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