ENEZ AR ROD –

EDITEUR  AR BALB
COLLECTION :      N° 1949
PUBLIE   EN  1949   Edition Originale
AUTEUR  LANGLEIZ
ILLUSTRATEUR ; Xavier DE LANGLAIS
code ISBN  non connu
code GW  :  RB-BA-enez
SYNOPSIS : Roman d’anticipation en breton

Premier roman d’anticipation écrit en Breton, ENEZ AR ROD est une œuvre majeure de notre littérature. Xavier de Langlais, artiste de renommée mondiale, était aussi un écrivain d’expression bretonne. En ce début de troisième millénaire, la génétique et les manipulations de toutes sortes permettent de transgresser les règles du vivant. Le roman de Langleiz, prémonitoire, n’a pas pris une ride : la science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Pour Edmond Rostand, cette œuvre était « un mélange savoureux d’humour, de symbole et de fantastique ». Pourvu qu’elle le reste !

Illustrations originales :  28
Couverture illustrée en noir et rouge, puis un dessin en page de garde en vert et noir puis en noir pour chaque chapitre, petit logo de l’éditeur en rouge sur la dernière de couverture.
voir les illustrations :

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Thèse Glenne Gouthe 2021 :

Enez ar Rod est le premier roman de Xavier de Langlais. Il rédige une première version en breton entre 1940 et 1942, bien qu’il ait probablement commencé la rédaction avant, destinée à une première publication en 1944 chez Skrid ha Skeudenn. Cette édition sera détruite par les bombardements avec l’imprimerie Basset de Rennes

Le 19 septembre 1940, il écrit dans son journal : « Tostik eo “Pa c’hellid an Netra” da veza echu… da lavarout eo skrivet penn da benn. » (“Pa c’hellid an Netra” est pratiquement terminé… c’est-à-dire écrit complètement.). Ce titre est le premier titre provisoire qu’il utilise et qui deviendra par la suite « Liliana » (Journal XL 26/02/1941) puis finalement « Enez ar Rod ». Seuls quelques rares exemplaires, ou plutôt épreuves, subsistent et indiquent d’ailleurs la date de 1943. Il en fait une traduction française sous le titre « L’île sous Cloche » portant la
mention « Traduit du breton » qui, elle, verra le jour en 1946 aux éditions nantaises « Aux Portes du Large ».

La même année, un extrait de l’ouvrage en breton, le chapitre sept, est publié dans la revue Kened. C’est finalement via la maison d’édition nouvellement créée Breuriezh Al Levrioù Brezhonek (BALB) qu’il va publier Enez ar Rod en 1949 avec en partie les restes de l’édition de 1944 ainsi qu’il est précisé dans l’avant-propos : « An darn vuiañ eus ar follennoù, bet moulet a-gent, a c’hellas, memestra, bezañ saveteet, da c’hortoz ur pred-amzer dereatoc’h e pep keñver. Setu roll ar follennoù kozh a voe miret er mouladur-mañ : eus ar bajenn 17 betek ar bajenn 144 » “La plupart de ces feuillets, imprimées auparavant, ont pu être cependant sauvées, en attendant une période plus propice à tous points de vue. Voici la liste des feuillets qui ont été conservés pour cette impression : de la
page 17 jusqu’à la page 144.”

Cette édition va connaître un autre malheur, la plupart des ouvrages sont détruits par un
champignon. Il n’y aura pas d’autres rééditions en breton de son vivant. Une réédition
française va cependant voir le jour en 1965. Une réédition en langue bretonne se fait
finalement en 2000 dans le cadre du vingt-cinquième anniversaire de sa mort.

Dans ce roman, on retrouve le thème de l’âme si cher à l’auteur. Il est question d’une fille qui
échoue sur une île sans savoir comment ni pourquoi. Elle fait la rencontre alors de ses habitants, complètement difformes, qui eux, ont perdu leur âme au profit d’une science exacerbée régissant toute la vie de l’île. Xavier de Langlais en profite pour montrer à certains moments toute l’absurdité que peut amener la science stricte et pure sans réflexion à la vie. Ainsi, c’est Liliana qui est considérée comme folle. Mais à mesure que l’histoire avance, on s’aperçoit que l’âme, considérée comme maladie, ne disparaît pas totalement et peut reprendre le dessus. On retrouve ainsi une critique assumée des expériences scientifiques et de leur détachement des conditions proprement philosophiques et spirituelles. Quelques années plus tard, il fait part plus amplement des craintes que cela génère en lui :
« Tout dernièrement des savants italiens ont réussi à faire vivre un fœtus “en
bouteille” durant un mois. Du coup la revue “Match” a publié une série d’articles
sur cette question devant laquelle le grand public reste stupéfait. C’est le commencement de l’Île sous Cloche (Enez ar Rod) que j’ai écrit il y a de cela près de vingt-cinq ans. Personnellement je vois venir avec horreur cette ère d’un superhomme au cerveau hypertrophié que j’ai prédit dans l’Île sous Cloche. À la parution de l’Île sous Cloche, la plupart de ceux qui lisaient le livre (peu nombreux les lecteurs !) souriaient doucement. J’ai pris date en signalant, l’abîme dans lequel l’humanité risquait de sombrer. J’ai crié mon dégoût et ma peur du Robot de chair que les laboratoires nous façonnaient, dans l’ombre patiemment : Im-pi-toya-blement. Mais que peut aujourd’hui l’homme seul devant le travail en équipe (à la chaîne) qui prépare le changement de règne : l’homme crée aujourd’hui le rival monstrueux qui le supplantera demain ! »
Journal XL 09/02/1961

Il se situe ainsi en défenseur de l’idée que l’homme doit limiter et faire attention aux progrès
techniques qui pourrait le desservir voire pire, le dénaturer. Mais d’autres inspirations peuvent être perçues. Ainsi certains y retrouvent aussi le thème de l’île engloutie, ou Kêr Is, avec ce dôme entouré d’eau protégeant la cité de l’extérieur. (PRIGENT (1987) p.275)

Son roman fut accueilli de très bonne manière par la presse francophone spécialisée. Ainsi Jean Rostand, fils du dramaturge Edmond Rostand et grande figure de la littérature française autorise Xavier de Langlais à utiliser ses propos concernant l’ouvrage en français :
« Dans ce récit passionnant, qui témoigne de rares qualités d’imagination, il y a un
mélange savoureux et très personnel d’humour, de symbole et de fantastique. »
La réédition aux éditions Denoël de « l’Île sous Cloche » en français va permettre au roman
d’avoir un plus grand retentissement que lors de la première édition et notamment dans la presse spécialisée telle que les revues Ailleurs, Lunatique ou bien encore Les Nouvelles Littéraires qui publie « Il pleut, Bergère ! » , histoire venant compléter « l’Île sous Cloche ». L’aventure de Liliana ira même jusqu’en Suisse où Radio Lausanne en fera une adaptation
radiophonique.
De la part du monde bretonnant, ce sont surtout des courriers que Xavier de Langlais a reçu
après la parution de son ouvrage. Plusieurs écrivains parmi les plus importants de Bretagne
donnent leur avis directement à l’auteur en témoigne une compilation de leurs avis retranscrits par Xavier de Langlais. On trouve ainsi l’abbé Loeiz Ar Floc’h qui fait un parallèle entre la situation de Liliana et la Bretagne :
« Un testeni hag un damalladenn eo al levr-mañ… Garmiñ a reomp war-du ar reizh.
Garmiñ a ra al levr-mañ war-du ar sklerijenn wirion : setu e gaerder. Liliana eo ene
Breizh a glasker lazhañ war zigarez e ve ur follez. Liliana eo spered an den a venner
mougañ en anv ar mekanikerezh. Liliana eo hon ene penn da benn. »
« Ce livre est un témoignage et une accusation… Nous crions vers le juste. Ce livre crie vers la vraie lumière : voici sa beauté. Liliana est l’âme de la Bretagne que l’on cherche à tuer sous prétexte de sa folie. Liliana est l’esprit de l’homme que l’on veut étouffer au nom de la machine. Liliana est complètement notre âme.”

Yves Le Moal/Dir Na Dor lui écrit le 24 octobre 1949 :
« D’an tôl-lagad kentan war diavez al levr, e chomer souezet, o ‘n em c’houlenn
penôs c’h eus gallet ober ken kaer all, en amzer ma ‘z eomp, hag e sav gant an den
meuleudi hag anaoudegez vat evidoc’h pa ‘c’h eus roet kement a lufr d’ar brezoneg. »
« Au premier coup d’œil sur l’aspect extérieur de l’ouvrage, on est surpris, en se demandant comment vous avez pu produire quelque chose d’aussi beau, par les temps qui courent, et on vous félicite et on vous est reconnaissant d’avoir donné tant d’éclat à la langue bretonne. »

Il fait ensuite le lien entre ce que Xavier de Langlais décrit et critique dans son ouvrage en
parlant de ce que l’Homme est capable alors que l’on se rend compte des horreurs de la seconde guerre mondiale :
« En deiou-man zo digouezet d’in lenn ar Figaro eun dôlenn wir hag a gord mat
gant ho hini : Cinq ans dans les camps de concentration soviétiques (Figaro 18
octobre) Comment on déshumanise les condamnés) Torfed heb e bar hag a zo
diskleriet dre ar munut e pep pajenn eus Enez ar rod. Ya, mall eo “da bep hini ober
e zibab” ! »
« Ces jours-ci, j’ai lu dans le Figaro, un vrai tableau qui concorde bien avec le vôtre […] Un crime sans pareil qui est décrit en détail dans chaque page d’Enez ar Rod. Oui, il est temps “à chacun de faire son choix” ! »

François Jaffrennou écrit qu’Enez ar Rod est un roman à la façon des anciens contes de
l’Antiquité celtique tels que les Mabinogion. Pêr Denez n’hésite pas non plus à rapprocher le
roman de Xavier de Langlais d’un conte : « Roman futuriste, Enez ar Rod est en fait un vaste
tableau – 300 pages – qui relève plus du conte que du roman. »
C’est effectivement un tableau descriptif la plupart du temps de ce qui se déroule sur l’île, comme si nous étions à la place de Liliana et que nous découvrions en même temps qu’elle cette île hostile. Il est pourtant difficile de le placer dans la catégorie des contes du fait de sa longueur d’une part, mais aussi de la présence de péripéties de l’héroïne qui va chercher un moyen de s’évader. Le côté très descriptif le place difficilement dans la catégorie des contes également qui généralement, enchaîne les évènements et se contente de descriptions succinctes. Alors que là, l’auteur prend le temps de décrire chaque élément du décor nouveau qui se présente devant Liliana au fil des chapitres.
C’est peut-être le genre de la science-fiction qui a pu amener à rapprocher Enez ar Rod du contepour certains.
Concernant la presse bretonnante, peu abondante au sortir de la guerre, c’est la revue éphémère Kened qui va publier un extrait du roman dès 1946 (Kened, n°1, 07/1946, p.8), le chapitre sept correspondant à la découverte du jardin où l’on cultive l’or. Cet extrait est précédé d’un commentaire de Per Denez expliquant le bombardement subi par la première édition. Al Liamm va faire connaître la publication en 1949.( Al Liamm, n°16, 09-10/1949, p.92)  Arzel Even en fait une critique en septembre-octobre 1949 : « Dellezek eo Enez ar Rod da vezañ studiet hir e-keñver danvez – hag e vo. »
« Enez ar Rod est digne d’être étudié longuement sur la matière – et il le sera. » Il fait également part des tournures vannetaises utilisées : « Ahendall, evel en e skridoù all, en deus klasket Langleiz implij gerioù ha troioù-lavar gwenedek – ha gant berzh peurliesañ – hep skrivañ koulskoude e gwenedeg rik evel ma ra R. Ar Mason, da skouer. »
« A part cela, comme dans tous ses autres écrits, Langleiz a essayé d’utiliser des expressions et mots vannetais – et avec succès le plus souvent – sans pour autant écrire en vannetais pur comme le fait R. Ar Mason, par exemple »

En effet, Xavier de Langlais a inclus à la fin de son ouvrage un lexique des mots vannetais
présents dans l’ouvrage. Le particularisme vannetais reste important pour lui à utiliser et à
mettre en valeur. Robert Le Masson va lui aussi émettre son avis qu’il lui envoie mais en 1946 cette fois, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage en français. Cela nous permet d’ailleurs de mieux comprendre pourquoi la première édition française a eu qu’un faible écho alors que celle de 1965 a beaucoup plus fait parler d’elle : « Un point cependant appelle une critique essentielle. Un livre qui se propose la défense de la civilisation spirituelle, se doit d’avoir une conception philosophique correcte de l’esprit. Or la conception dualiste de l’âme qu’adopte d’instinct X. de LANGLAIS est tout à fait fausse. Ce fut celle de DESCARTES reprenant les thèses
manichéistes de jadis : le mariage d’une bête et d’un ange. La science contemporaine, donne au contraire une nouvelle force à la conception aristotélicienne et thomiste de l’âme “forma susbtantialis corporis” qui est aussi celle que l’Église catholique a implicitement adoptée. »
Ce à quoi Xavier de Langlais répond :
« Pour répondre à cette accusation précise d’une conception dualiste de l’âme, je vous avouerai en rougissant que je n’ai lu de Descartes que le minimum nécessaire à un collégien et n’ai d’ailleurs aucune tendresse pour sa logique “rigoureuse”, le contraire serait surprenant d’un peintre. Donc à priori je n’ai pas d’opinion là dessus et si j’avais fait du dualisme c’eut [sic] été comme Mr Jourdain de la prose… sans le savoir. Mais je me défends bien d’en avoir fait, quand bien même cette conception rejetée pour le moment reviendrait en honneur […] Mon histoire d’âmes que l’on attire dans des boules de cristal ne saurait être prise une seconde pour autre chose qu’un symbole. Relisez tout ce qui concerne ce rapt de l’âme qu’ils
réussissent à capter mais sa lumière, son reflet invisible, l’âme ils ne peuvent la saisir, elle est toujours présente comme un levain, et c’est de là que provient cette inquiétude qui les travaille en présence de la fille sauvage. […] Mon papier me lâche… Excusez cette “défense”. En ce moment où le livre est boycoté [sic] par certains (l’Ouest Eclair en haine de l’auteur ! Ex collaborateur de la Bretagne !) Je crois plus prudent de ne pas m’[…] de coups de crosses archiépiscopaux. Vous me pardonnerez donc […] »
Malgré le manque de lisibilité du document sur la fin, on peut imaginer que Xavier de Langlais
n’ait pas transmis la critique de Robert Le Masson à la presse. En tout cas, ce roman n’a pas laissé indifférent et ne laisse pas indifférent encore aujourd’hui notamment le lecteur bretonnant. Cependant, permettant à la langue bretonne de s’introduire dans un genre moderne s’il en est qu’est la science-fiction, il reste un texte que l’on peut qualifier de « pionnier »  dans une littérature cherchant à se faire une place dans le monde moderne. L’intérêt porté à cet ouvrage reste encore aujourd’hui d’actualité en français comme en breton. Un mémoire de Maîtrise en Lettres Modernes a été soutenu par Fabienne Tireau à
l’Université Rennes 2 en juin 2000 ou L’Île sous Cloche est comparée à L’île du Docteur Moreau de Herbert George Wells. Enez ar Rod a aussi été au programme du CAPES il y a encore quelques années comme le souligne Erwan Hupel et figure encore au sujet de 2020 dans
les compléments bibliographiques. Enfin, une nouvelle adaptation radiophonique mais cette
fois-ci en breton a été réalisée en 2020 par Anaïs Leroux et produite par Samuel Julien, directeur de Dizale, spécialisée dans les doublages de films en breton.

Glenn Gouthe  thèse 2021

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *